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Bugdget de la Défense : présentation du rapport sur le programme 146

Commission de la Défense nationale et des Forces Armées - 19 octobre 2022 (seul le prononcé fait foi)

Monsieur le Président, Mes chers collègues,

Au lendemain de l’invasion de l’Ukraine, des Rafale équipés de missiles Meteor et Mica, appuyés par des avions ravitailleurs A330 MRTT Phénix décollaient de la base de Mont-de-Marsan, pour des missions de police du ciel en Pologne. 

Les avions A400M transportaient matériel et munitions en Roumanie pour le bataillon Aigle.

Dans le même temps, le groupe aéronaval, composé notamment du porte-avions, des frégates multi-missions, de frégates à capacité aérienne renforcée et d’avions de patrouille maritime, croisait en Méditerranée.

Parallèlement, sous-marins nucléaires lanceurs d’engin de la force océanique stratégique et aéronefs des forces aériennes stratégiques assuraient la posture permanente de dissuasion nucléaire.

Enfin, à quelques milliers de kilomètres de là, en bande sahélo-saharienne, les véhicules blindés du programme Scorpion continuaient leurs actions pour lutter contre les groupes armés terroristes.

Chers collègues, tous les équipements que je viens d’évoquer, qui permettent à nos forces armées d’assurer au quotidien les missions qui leur sont confiées, ont été financées par le programme 146. Un programme qui s’inscrit dans le cadre d’une loi de programmation militaire respectée à l’euro près depuis 2019, fait inédit – on ne le rappellera jamais assez – depuis des décennies. Ce texte avait été adopté dans un esprit de coopération transpartisane entre la majorité de notre Assemblée et celle du Sénat, il y a quatre ans.

Je ne doute pas que ce même esprit animera aujourd’hui ceux qui avaient, hier, contribué à construire ce cap pour notre défense. 

La modernisation des équipements de nos forces armées est au cœur de l’ambition portée par la LPM : depuis 2017, les crédits du programme 146 sont passés de 10 à 15,4 milliards d’euros en 5 ans.

15,4 milliards d’euros, c’est, pour vous donner un ordre de grandeur, l’équivalent des crédits alloués à l’ensemble de la mission « Sécurités ». Au total, le programme 146 représente plus de 35% des crédits de l’ensemble de la mission défense.

Le budget que nous examinons poursuit et accélère le renouvellement de l’ensemble de notre spectre capacitaire :

  • il contribue au renouvellement de nos capacités de dissuasion, avec les travaux en cours sur les futurs missiles nucléaires ou le sous-marin nucléaire de troisième génération ;
  • il renforce nos capacités de combat, avec pour 2023 la commande de 42 nouveaux Rafale, la création d’une brigade interarmes Scorpion d’ici la fin de l’année, la livraison du second sous-marin nucléaire d’attaque de type Barracuda, ou encore la poursuite des travaux préparatoires du porte-avions de nouvelle génération ;
  • il modernise nos capacités de commandement, de communication et de renseignement, avec le lancement en 2023 du second satellite de télécommunication Syracuse IV et du troisième satellite d’observation de la constellation CSO-3, ou encore les travaux sur les successeurs de l’avion radar Awacs, que j’ai eu l’occasion de voir sur la base d’Avord ;
  • il amplifie nos capacités de projection enfin, avec par exemple le renouvellement de notre flotte de transport tactique et stratégique grâce aux A400M et A330 MRRT Phénix, qui offre une capacité d’élongation inédite à notre armée de l’air et de l’espace.
Au-delà de la poursuite des grands programmes structurants, les crédits prévus pour 2023 tiennent compte, naturellement du contexte stratégique que nous connaissons.

Un effort particulier est ainsi prévu, à hauteur de 2 milliards d’euros en autorisations d’engagement, sur la nécessaire reconstitution de nos stocks de munitions : missiles moyenne portée pour l’armée de terre, missiles Exocet pour la marine, missiles Aster pour nos systèmes de défense anti-aérien, missiles Scalp….

Cet effort doit être poursuivi et amplifié. Il en va de notre capacité à pouvoir durer dans le cadre d’un conflit. Car le budget que nous examinons aujourd’hui n’est pas seulement la traduction fidèle d’une programmation largement adoptée : il constitue également la base sur laquelle nous serons amenés à concevoir la programmation pluriannuelle à venir de nos dépenses militaires. 

La nécessaire adaptation à la haute intensité ne doit pas nous faire perdre de vue que l’enjeu n’est pas tant d’avoir la capacité à affronter seul un compétiteur stratégique, hypothèse peu probable, que de continuer à permettre à la France d’assumer toutes ses responsabilités de nation-cadre d’une coalition.

Les évènements récents en mer baltique rappellent en outre que le conflit n’est pas seulement sur le champ de bataille : il est multi-lieux, il est multi-champs. Les enjeux portent aussi sur des domaines tels que la maîtrise des fonds marins ou le cyber, sur lesquels il nous faudra avancer.

Peut-être est-ce l’ingénieur qui parle, mais je suis convaincu que notre pays ne peut pas se permettre de manquer les ruptures technologiques militaires dans les domaines de l’hypervélocité, du spatial, du quantique ou du numérique. La préservation de notre souveraineté technologique est cruciale, et pas seulement dans le domaine de la dissuasion nucléaire.

Les choix structurants que nous portons aujourd’hui constituent donc déjà le socle de la future loi de programmation. Et les nouveaux investissements lourds que nous aurons à envisager [par exemple pour un second porte-avions] devront être opérés avec le souci de cette cohérence d’ensemble.

Mes chers collègues, l’examen du programme 146 nous donne également l’occasion d’évoquer les coopérations européennes, dont les plus emblématiques connaissent des difficultés, comme cela a déjà été rappelé, justement, par certains d’entre vous.

Ces coopérations européennes ont évidemment du sens. Elles ont du sens opérationnellement, en favorisant l’interopérabilité. Elles ont du sens financièrement, en permettant le partage des coûts.

Notre première responsabilité est donc de tout essayer pour concrétiser ces coopérations, dès lors qu’elles répondent à un certain nombre de principes, notamment celui du « best athlete ».

En revanche, ne soyons pas naïfs.

Pour certains de nos partenaires, privilégier la sécurité du parapluie américain à la construction, patiente et nécessairement plus longue, d’une forme de souveraineté européenne est une tentation certaine et qui n'est pas nouvelle. Cette tentation n’a pas empêché l’esprit de coopération d’avancer. Mais elle l’a parfois ralenti et a parfois eu raison de certains programmes.

Notre volontarisme ne doit donc pas nous amener à ignorer les risques d’échec des coopérations engagées, a fortiori lorsqu’elles se heurtent à des blocages qui se multiplient. Tout plan A doit avoir un plan B et je retiens des contacts établis dans le cadre de cette mission budgétaire que nos industriels et nos états-majors ont pleinement conscience de cela.

Mes chers collègues, je parlais tout à l’heure du nouveau contexte. Les crises que nous traversons imposent la mise en place d’une forme d’économie de guerre. C’est-à-dire de nous mettre en capacité de produire plus et plus vite ce qui est essentiel à la résolution des crises.

Sur le plan militaire, la guerre en Ukraine a servi d’électrochoc. Ce conflit rappelle que les guerres de haute intensité sont caractérisées par une forte attrition du matériel et de consommation de munitions. Bien plus, nous avons pris conscience à l’occasion de ce conflit que nos industriels n’avaient pas la capacité de recompléter rapidement des stocks ponctionnés par les livraisons au bénéfice de l’Ukraine.

Comment faire alors pour produire plus et plus vite ?

Trois pistes : simplifier nos processus, sécuriser nos approvisionnements et augmenter nos capacités de résistance.

La première piste est de simplifier nos processus.

Simplifier tout d’abord l’expression de besoins de nos armées. Nos flottes et nos parcs d’équipements sont trop hétérogènes et un même système d’armes est souvent produit en plusieurs versions, avec chacune leur propre spécificité. Il nous faut rechercher l’homogénéisation de nos équipements, sur le modèle de l’hélicoptère HIL Guépard qui équipera nos trois armées.

Il nous faut également simplifier la conduite des opérations d’armement. Les forces et la DGA doivent associer les industriels le plus en amont possible, dès la phase de l’expression des besoins, pour identifier les spécifications génératrices de coûts ou de délais.

Au stade du développement, la démarche incrémentale doit être privilégiée, pour favoriser l’appropriation progressive du système d’armes par les forces, ainsi que la possibilité de prendre en compte le retour d’expérience du terrain pour les développements à venir.

Au stade de la qualification, la mutualisation des essais doit permettre de gagner du temps et de mettre un terme aux duplications entre DGA et industriels.

La simplification vaut aussi pour les normes. Il faut cesser d’appliquer mécaniquement des normes issues du monde civil, sans tenir compte des conditions d’emploi de nos équipements et matériels. Les travaux en cours sur la réforme des règles de navigabilité ou de la certification des drones vont dans le bon sens. Et dans ce débat sur les normes spécifiques à l’armement militaire, il nous faut aussi distinguer et prioriser les combats, en conservant à l’esprit que si un monde en paix est loin d’être une condition suffisante à la mise en œuvre de solutions efficaces face aux crises écologiques, on perdrait assurément le combat climatique dans un monde en proie au chaos et à la guerre.

Le second axe à développer pour adapter la BITD à l’économie de guerre est de renforcer notre autonomie, notamment en sécurisant les chaînes d’approvisionnement.

Cela exige de constituer des stocks de matières premières ou de composants critiques, qui pourraient être mutualisés entre les entreprises de défense. Cela passe également par la réduction de nos dépendances à l’égard de certains pays étrangers, par exemple en relocalisant certaines filières critiques, telles que la filière « poudre ». L’anticipation des approvisionnements sera par ailleurs favorisée si l’Etat donne davantage de visibilité à nos industriels sur ses commandes, à travers par exemple de nouveaux mécanismes contractuels.

La troisième et dernière piste pour assumer cette nécessité d’une conversion à l’économie de guerre est de se mettre en capacité de résister.

Une plus grande résilience de la base industrielle et technologique de défense exige tout d’abord une capacité de mobiliser des ressources humaines en nombre suffisant en cas de crise. Je soutiens à ce titre la proposition du patron de Nexter de créer une « réserve industrielle de défense ».

Le même réflexe doit permettre de mobiliser, lors de conflits, nos ressources matérielles indispensables au fonctionnement de la base industrielle et technologique de défense. Des réflexions sont en cours pour adapter et rendre plus agiles nos régimes juridiques de réquisition et de priorisation, au bénéfice des besoins de défense. 

Enfin, outre la nécessaire protection de nos entreprises face à des actes de sabotage, matériels ou immatériels, un pan qui me semble trop négligé dans les réflexions actuelles sur l’économie de guerre est le maintien en condition opérationnelle de nos équipements en cas de conflit.

Au-delà des moyens financiers, comment adapter notre organisation industrielle pour qu’elle soit suffisamment résiliente et réactive pour régénérer le matériel usé par des dommages de guerre ?

C’est une question majeure qu’il me semble nécessaire d’anticiper.

Mes chers collègues, notre défense passe par des moyens, et par un état d’esprit. Cette mission budgétaire dégage des moyens utiles, et je suis convaincu qu’ensemble, au-delà de nos groupes politiques, avec tous les acteurs de la défense nationale, notre mission est également de créer et cultiver cet état d’esprit que ce moment si particulier de notre histoire rend si essentiel.

Je vous remercie de votre attention. 

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